édito précédent
La palme d’or attribuée à Fahrenheit 9/11 par le jury du festival de Cannes, que présidait Quentin Tarantino, est l’un de ces événements sur lesquels un historien aime écrire dans les heures qui les suivent, en pariant qu’ils seront considérés comme des tournants importants.
Son importance tient en particulier au fait que Moore est un Américain fier de l’être, et pas toujours bien compris des intellectuels européens. Ainsi son confrère Jean-Luc Godard disait il y quelques jours, cité par Le Figaro : "je pense qu’il aide Bush d’une façon très vicieuse dont il n’est pas conscient. Bush est moins bête qu’il ne croit ou il est si bête qu’on ne peut pas le changer. L’autre (ndlr : Moore) est à moitié intelligent. Il ne fait pas de différence entre une image et un texte."
Ces subtilités ne sont pas aujourd’hui de mise. Si c’est aider Bush que de le combattre avec autant d’ardeur et d’abnégation, vivent les auxiliaires de Bush ! Ce dont Godard n’a pas l’air conscient, c’est qu’une guerre des images a été lancée, par des gens à très courte vue qui voulaient rabaisser tout le monde à leur propre niveau. Il fallait à tout prix et par tout moyen faire croire :
que Bush avait été élu ;
que le 11 septembre résultait d’un « choc de civilisations » ;
que la seule réponse était policière et militaire ;
que cette attaque autorisait les Etats-Unis à riposter contre des gens qui n’en étaient en rien complices ;
que tous les procédés étaient permis pour démontrer qu’ils l’étaient ;
que les pires traitements contre les populations civiles, sur leurs lieux d’habitation comme dans les prisons où on les traînait, étaient un mal nécessaire, voire un souverain bien.
Cette palme couronne un cycle ouvert par les difficultés de la pacification en Irak, le fait que l’arrestation de Saddam, attendue comme le Messie pour y mettre fin, les a aggravées, la défection de l’Espagne, la ruine concomitante de l’opposition made in USA entre « vieille » et « nouvelle » Europe, et la révélation des si prévisibles tortures, mettant en vedette un bourreau féminin américain qui a l’esprit de s’appeler England.
Le film de Moore présente le 11 septembre comme un règlement de compte mafieux entre deux clans qui se sont haïs après des années de fructueuse collaboration. Il n’épuise sans doute pas le sujet. Mais il met le doigt où cela fait mal. Il aidait tellement vicieusement Bush que celui-ci était en bonne voie d’empêcher purement et simplement sa sortie aux Etats-Unis, avec le concours de la firme Disney. Balayant très probablement ces tentatives, la distinction que le jury de Cannes a eu le courage de décerner risque de rendre cette sortie triomphale et d’avoir sur l’opinion américaine des conséquences sismiques.
Certes tout ne sera pas résolu pour autant, et même rien ne le sera. Il restera un paysage doublement dévasté, par les dégâts de l’équipe Bush et par l’aggravation des problèmes auxquels elle a empêché qu’on s’attaquât.
L’image une fois vaincue par l’image, il va falloir se colleter aux réalités. Nul doute que Jean-Luc Godard ne nous aide à le faire subtilement !
PS (6 juin 2004) : pour marquer à ma façon la commémoration du Débarquement, j’ai mis en ligne un petit texte : L’erreur fondamentale de Paxton
édito suivant