Chronologie des calomnies
L’ancien secrétaire de Jean Moulin, célébré et médiatisé comme jamais, en ces temps anniversaires de la fondation du Conseil national de la Résistance, comme survivant de l’équipe qui avait organisé la réunion du 27 mai 1943, commet une page bien regrettable dans son dernier livre, De l’Histoire à l’histoire, portant sur les travaux historiques qu’il a entrepris depuis une fameuse querelle télévisée avec Henri Frenay, en 1977.
Pascal Convert dévoile une supercherie sur Mediapart le 30 mai 2013, à propos du récit que fait Cordier de la "table ronde" organisée dans les locaux de Libération, le 17 mai 1997. Extrait :
Dans son nouvel opus, Daniel Cordier indique donc son état d’esprit de l’époque :
« Quand vint mon tour, je répétai ce que tous les historiens présents avaient affirmé - et qui résumait ma conviction profonde : « Aubrac est innocent des calomnies que l’on porte contre lui." Ce qu’Aubrac réclamait depuis longtemps venait de se produire : il obtenait la caution des meilleurs spécialistes de la Résistance de l’époque, ce à quoi je m’étais personnellement engagé. [1] »
S’attribuant ainsi le mérite personnel du « blanchiment » de Lucie et Raymond Aubrac, on se serait attendu à ce que Daniel Cordier en reste là.
Mais il m’a fallu relire à plusieurs reprises les lignes qui suivent et même les souligner pour comprendre leur sens : « La journée se termina par le récit d’un événement que j’ignorais : la venue de la Gestapo au domicile de Raymond, et son arrestation sous son vrai nom de Samuel. »
Après avoir affirmé dans la phrase précédente qu’"Aubrac est innocent des calomnies que l’on porte contre lui" Daniel Cordier l’accuse, sans le dire explicitement, d’avoir menti : une arrestation de Raymond Aubrac sous son véritable nom de Samuel, nom qui désignait sa judéité, aurait entraîné une déportation immédiate... à moins d’un pacte passé avec Barbie.
Nulle part dans la transcription de la séance du 17 mai 1997 il n’est question d’une arrestation de Raymond Aubrac à son domicile par la Gestapo sous son patronyme de Samuel.
Outre Mediapart, le débat se déploie sur Livres de guerre où Jacques Ghémard et Francis Deleu défendent Cordier avec une opiniâtreté digne d’une meilleure cause. Une réponse, à l’adresse de Jacques :
objections de françois delpla le vendredi 31 mai 2013 à 11h23
(...)
Il est peu pertinent d’excuser l’écart entre le livre de 2013 et le compte rendu de la table ronde par ton bouquet d’hypothèses. Ce compte rendu avait été longuement négocié : les Aubrac avaient, par exemple, refusé l’ablation de la "question de trop".
Surtout, quelle infamie, de publier une telle mise en cause pour l’anniversaire de la mort de l’intéressé ! Cela rejoint, ni plus ni moins, l’attitude d’un Stéphane Courtois, qui, lui, un an plus tôt, déformait les mêmes faits, tout aussi imprudemment mais d’une autre façon : en prétendant que Cordier avait pressé Aubrac "d’avouer enfin qu’il était communiste", et que cela avait mis fin à la séance, le couple l’ayant quittée !
Devant de tels comportements, aucune indulgence n’est de mise.
sur Mediapart
31/05/2013, 09:04 Par François Delpla
(...)
Cordier est répétitif comme tous les fanatiques. La Table ronde est décidée plusieurs semaines à l’avance, elle a été préparée par le quintette Cordier-Bédarida et consorts. Ils ont trouvé dans la visite de la Gestapo à la villa de l’avenue Esquirol un bon moyen de brouiller les pistes. A une condition : mentir sur sa date, au moins par insinuation. En l’état actuel des sources, qui n’a pas changé depuis 1997, voici tout ce qu’on peut dire, et que je disais cette année-là dans mon livre, paru en octobre :
Il est compréhensible que la Gestapo ait éprouvé, au lendemain du 21 octobre, un vif désir et un grand besoin de revanche. (...) Les recherches semblent s’orienter rapidement vers Lucie.
C’est elle-même qui, à un moment où personne n’a encore soulevé la question, aborde dans Ils partiront dans l’ivresse (1984) un point fort mystérieux : sa maison de l’avenue Esquirol est visitée par la Gestapo, au plus tard le 1er novembre. La Résistance l’a appris par Ginette, soeur de Raymond, venue ce jour-là chercher une valise de linge pour Jean-Pierre [caché dans une famille d’accueil]. Elle a trouvé une souricière et a été arrêtée mais a pu s’enfuir par la fenêtre en abandonnant ses papiers (...). Chauvy lui-même a trouvé le témoignage d’un pharmacien, venu comme de coutume porter à Lucie des vomitifs destinés aux prisonniers que le groupe franc voulait faire transférer dans des hôpitaux. D’après lui, c’est avant la fin d’octobre qu’il s’est fait prendre dans la villa, et garder plusieurs jours pour les besoins d’une enquête à laquelle participait Barbie en personne.
Je rappelle sans animosité aucune, mais avec le regard froid du clinicien examinant l’état de la France, que les 2000 exemplaires de mon livre ne sont pas épuisés et que la vaillante maison du Temps des cerises vous l’envoie toujours en 48 heures tandis qu’Albin Michel, au procès, a avoué avoir écoulé 20 000 libelles calomniateurs (pardon : livres scientifiques rigoureux) de Chauvy.
Le problème soulevé ici avec pertinence par Pascal Convert est celui de la mémoire fanatique, qui concentre de plus en plus le poison de la déformation. Dans l’extrait que j’ai cité, Bédarida rapproche au maximum la visite domiciliaire de la captivité : " à une date qui semble très proche (entre trois et six jours)" et dans le vôtre il montre où il veut en venir : "Puisque la villa où vous logiez depuis 1941 a été repérée, la question est de savoir comment et quand la police allemande a établi une corrélation entre, d’un côté, le détenu Aubrac, de l’autre, Lucie Samuel". La réponse est évidente ou au moins plausible et probable, sauf pour qui n’instruit qu’à charge : c’est l’évasion, sur laquelle Barbie a eu de nombreux témoins à interroger (la plupart des évadés ayant été repris au bout de quelques jours) qui a attiré l’attention sur Lucie, une femme inattendue dans un tel commando et remarquable par sa grande taille, quelque indice aura démasqué sa profession et il n’y avait plus qu’à visiter les secrétariats d’un ou deux lycées de filles pour trouver l’adresse de quelqu’un qui venait d’abandonner son poste.
En résumé, une visite de domicile on ne peut plus explicable par une évasion est transformée par une équipe de fanatiques qui se bourrent le mou mutuellement en une piste, des plus tirées par les cheveux, pour insinuer que l’ennemi connaissait et l’adresse, et le nom de Samuel, depuis une date indéterminée de l’an 1943... ce qui rejoint parfaitement les insinuations de Chauvy initiées par Vergès et fait rentrer par la fenêtre son livre, qu’on a daigné faire sortir par la porte cinq minutes avant, sur l’insistance des deux calomniés.
PS.- Quant à moi, j’ai toujours distingué en cette affaire la dérive ponctuelle de quelques-uns et les ensembles dont ils étaient des fleurons : l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP), l’école historiographique française de Vichy etc. J’ai eu peu après à diriger un numéro de magazine sur Churchill et ai bien entendu sollicité la participation de François Bédarida, qui m’a promis un article -que seule la mort l’a empêché d’écrire. Par ailleurs des cadres éminents de l’IHTP comme Robert Frank et Denis Peschanski n’ont jamais hurlé avec les loups.
Cf. le texte Déplorable leçon d’histoire, initié par Antoine Prost .
Chronologie des calomnies