Ranuccio Bianchi Bandinelli, Quelques jours avec Hitler et Mussolini, Paris, Carnets nord, 2011, postface d’Angelo Caperna (1995).
L’auteur est un universitaire d’extraction bourgeoise, spécialisé dans l’art antique. Devenu résistant pendant la guerre, puis communiste, il publie son journal en 1948, avec des commentaires. Cet opuscule est un extrait de ce livre, concernant le moment où l’auteur a été choisi, sur la suggestion de collègues fascistes affectés à la direction des Arts du ministère de l’Instruction publique, pour servir de guide aux deux dictateurs dans les musées de Rome et de Florence, lors du voyage que Hitler effectuait en Italie, en mai 1938. Il parlait couramment l’allemand et ces collègues croyaient sans doute lui rendre service à moins, écrit-il, qu’ils aient voulu le compromettre. Il était, en 1938, à la fois antifasciste et peu politisé.
Toujours est-il qu’après avoir été averti quelques semaines à l’avance il roula dans sa tête des projets d’attentat, n’y donna pas suite faute de recevoir la moindre impulsion dans ce sens des collègues antifascistes à qui il ne fit pas mystère de la mission -personne, dans les services de sécurité, ne semblant se méfier de lui ni espionner ses fréquentations. Il avait d’ailleurs oublié, pendant la visite de Hitler, ses velléités de double tyrannicide, ne s’en souvenant qu’après la guerre, au moment de la publication.
C’est peut-être sur Mussolini que l’ouvrage est le plus instructif. Le Duce apparaît à la fois inculte, désireux de le cacher et nullement pressé de combler ses lacunes : quand Hitler s’éloigne un peu, il ne regarde pas les oeuvres et s’impatiente devant la longueur des visites. Il apparaît à Bandinelli comme uniquement soucieux de son pouvoir, et prêt, pour le garder, à toutes les volte-faces idéologiques. Par ailleurs, le professeur est atterré de l’entendre dire avec conviction que "l’Angleterre est finie".
Hitler, en revanche, lui semble à la fois sincère dans ses obsessions idéologiques et incapable, à cause d’elles, de s’intéresser vraiment à l’art. Il ré"pète obsessionnellement devant les oeuvres que si le communisme l’avait emporté en Italie elles seraient toutes détruites. Il se lance, devant certaines pièces archéologiques que Bandinelli a présentés comme "germaniques", dans une théorie suivant laquelle elles proviennent d’un centre de civilisation "nordique" comparable à la Grèce mais disparu... ce qui accrédite l’existence de l’Atlantide ! Du coup, Mussolini est sceptique... et attend de n’être qu’avec des Italiens pour le manifester.
Bandinelli ne fait guère de distinctions, dans ce domaine, entre Hitler et les autres dirigeants nazis -qu’il a presque tous amenés, à l’exception de Göring. Ce ne sont que nouveaux riches, sans culture et sans goût. Il s’étend sur certains comportements de Hitler censés confirmer ce diagnostic : il apprécie les nus seulement en tant que spectacle érotique, il s’extasie devant des peintres secondaires. Bandinelli ne peut toutefois s’empêcher de relever à quel point il révère Michel-Ange, mais il passe vite.
Cette publication distingue mal le journal original et les commentaires de 1948... qui se ressentent fortement des événements politiques et personnels de la décennie écoulée. Bandinelli est sans doute passé à côté de la personnalité de Hitler et de sa place dans son propre régime. Il n’en est que plus intéressant de voir qu’il cerne une différence essentielle entre le nazisme et le fascisme : le premier est empreint de fanatisme, le second d’histrionnisme.