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.Monsieur le Président,
Candidat en 2007 à mon suffrage, il vous arrivait souvent de causer de la justice et vous vous engagiez alors à veiller sur les droits des victimes. Vous fûtes élu et ces droits bafoués comme devant dans notre pays, mais ce n’est pas l’objet principal du courrier d’aujourd’hui. Je voudrais surtout attirer votre attention sur les moeurs du chef d’un autre Etat, avec lesquel vous avez resserré les liens de la France.
Sur les victimes qui ont eu récemment du mal à faire reconnaître leurs droits de ce côté-ci de l’Atlantique, je m’en tiendrai donc à un seul exemple, celui d’un poison appelé Médiator au fabricant duquel vous remettiez une haute décoration en l’appelant votre ami, et en citant en exemple sa réussite technique autant qu’économique, à l’heure même où un tribunal halluciné le déclarait lui-même victime de sa courageuse dénonciatrice, Irène Frachon, et d’un éditeur, la librairie Dialogues de Brest. Il fallut l’éclatement du scandale pour inciter la cour d’appel à déjuger le tribunal, et permettre le début du parcours d’obstacles qui offrira peut-être une certaine réparation aux dizaines de milliers de victimes, et aux ayant-droits des centaines de morts.
Mais venons-en au fait d’actualité qui m’incite à prendre la plume.
S’il est un droit auquel tient une victime d’acte criminel, quand elle survit, c’est bien celui de voir son bourreau arrêté et assigné en justice. Or le président des Etats-Unis vient de dénier cyniquement ce droit aux victimes des attentats du 11 septembre 2001. Il suit, il est vrai, les traces de son prédécesseur qui, sachant que le crime avait été ordonné par un nommé Oussama Ben Laden, avait détourné leur vindicte sur un assassin innocent de cet acte-là mais plus aisé à trouver, qu’on appelait Saddam Hussein. Quand on l’eut pris, on ouvrit à son encontre huit informations judiciaires... mais au terme du premier procès, il fut exécuté, ce qui bafouait cyniquement les droits, en supposant égale la quantité des victimes dans les huit cas, des sept-huitièmes d’entre elles.
Vous n’étiez pas au pouvoir, vous ne protestâtes point, vous n’en soufflâtes mot dans votre campagne, vous n’y revîntes pas une fois élu, soit ! On vous le pardonnera d’autant plus aisément que le président responsable de cette ignominie, un certain George Bush dit Junior ou Double V, fut peu après votre élection chassé du pouvoir par l’échéance de son mandat, et ses idées par le triomphe d’un candidat nommé Obama, qui avait courageusement combattu sa politique envers ledit Saddam.
Mais voilà que, sans doute faute d’avoir nettoyé suffisamment les écuries de son prédécesseur, ledit Obama, dont les soldats avaient fini par localiser Ben Laden, a ordonné son exécution immédiate sans procès. Pire, il a prétendu que par là "justice" était faite. Pire encore, votre premier ministre, un certain Fillon, a repris la formule, et votre ministre des Affaires étrangères, un dénommé Juppé, qui a pourtant de la justice une connaissance directe, a prétendu que toute protestation contre les conditions de cette mort reviendrait à "verser des larmes" sur Oussama Ben Laden.
Monsieur le Président, n’est-il pas temps de reprendre les choses en main ? Je compte éminemment sur vous pour tirer les oreilles de ces deux collaborateurs en leur rappelant ce qu’est le droit et en leur faisant mesurer la différence qui le sépare, et de la vengeance, et du talion. En faisant notamment comprendre au citoyen Juppé qu’il y a une marge, et même un abîme, entre l’exigence d’un procès équitable et l’approbation des actes d’un accusé. Je vous autorise à prendre l’exemple suivant : s’il avait commis quelque nouveau délit et que son trépas privât ses victimes de son procès, je le déplorerais à coup sûr mais sa disparition n’entraînerait pas pour autant la mise en action de mes glandes lacrimales.
Le droit des victimes implique aussi celui de vivre dans un Etat qui ne favorise pas, chez elles, les tendances bien humaines, mais par définition non étatiques et asociales, que sont l’aspiration à voir le bourreau subir les mêmes traitements que sa proie, ou à lui infliger soi-même un châtiment. Bref, le droit à une pédagogie rappelant les règles élémentaires de la civilisation.
Dans les pays disposant d’un service public d’information, cette pédagogie suppose des remontrances et des prises de distance, de la part du pouvoir exécutif, si ce service ne joue pas le rôle éducatif susdit. Je ne doute donc pas que vous tirerez aussi, ou vous arrangerez pour que soient tirés, les appendices auditifs d’un sieur Pujadas, qui crut intelligent de consacrer au soir de la mort de Ben Laden un journal télévisé aux victimes du 11 septembre, en privilégant des images de danse du scalp et des interviews tout uniment favorables à la loi du Far West.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma foi inébranlable en vos sentiments démocratiques.
Montigny, le 5 mai 2011
François Delpla
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