édito précédent
L’historien militaire allemand Karl-Heinz Frieser est un donneur de leçons paresseux et satisfait... mais la responsabilité principale en incombe à son public. Quand on passe pour le grand spécialiste d’une question alors qu’on a certes travaillé sur elle mais qu’on la connaît encore incomplètement et qu’il n’est pas temps de couper son effort, il est difficile de résister à la tentation de croire que « c’est arrivé ». De ce point de vue, je ne serai jamais trop reconnaissant aux barbares qui ont assassiné mon premier livre ! (cf. édito précédent)
En 1995, ce chercheur a intitulé le sien Blitzkrieg-Legende, un titre traduit par Le Mythe de la guerre-éclair dans l’édition française, en 2003. L’ouvrage a de quoi séduire, notamment par la précision de sa description des combats de mai 1940. Il a par exemple clarifié avec compétence l’absence de toute motivation militaire lors du fameux arrêt devant Dunkerque. Il l’attribue, faussement certes, à une crise d’autorité du dictateur, qui bloquerait le mouvement pendant trois jours uniquement pour montrer qu’il commande... ce qui souligne encore l’absence de toute cause militaire.
Le malheur voulut que dès l’an 2000, grisé par un large succès international, Frieser donnât à un numéro de la revue Autrement un résumé de ses thèses qui accentuait tous les défauts de son livre sans en conserver aucune des qualités... et que ce texte ressorte ces jours-ci sans changement, avec le numéro tout entier, présenté cette fois comme un ouvrage autonome, et comme une nouveauté, sous le titre Mai-juin 1940/Défaite française, victoire allemande, sous l’oeil des historiens étrangers. Sur le Haltbefehl dunkerquois on assiste même à une considérable régression : voilà qu’il serait dû à nouveau à l’angoisse d’un Hitler incompétent devant un risque de contre-attaque, comme c’était le cas dans la littérature antérieure au livre de Costello (1991), avec pour tout répondant des propos de Hitler lui-même, non seulement surjoués mais antérieurs à cette période (1) .
Mais que ce soit dans l’article avec un grand simplisme, ou dans le livre avec plus de nuances, Frieser fait preuve d’un défaut fondamental : il nie que la terrible attaque ait été le moins du monde pensée, d’où cette péremptoire affirmation que la guerre-éclair serait une légende. En d’autres termes, il n’y avait pas de pilote dans l’avion ! Hitler aurait eu de vagues et intermittentes intuitions, inspirées des plans du général von Manstein qu’il comprenait fort mal, et ce sont les généraux des unités blindées, Guderian en tête, qui auraient donné à l’offensive sa forme et son rythme. L’hégémonie mondiale actuelle de cette élucubration est un défi au bon sens.
Ce sera sans doute un sujet d’étonnement, dans une génération ou deux, que cette prose ait été reçue de façon aussi peu critique à une époque où la nocivité du nazisme était pourtant chaque jour rappelée, particulièrement à propos de la persécution des Juifs. Si on voulait être méchant, on pourrait cataloguer Frieser comme un négationniste, non point certes sur la question précise du judéocide, mais sur celle de la dangerosité du national-socialisme, qui l’englobe. En tout cas, son nazisme balourd et emprunté, son Hitler aussi maladroit que Guillaume II pour ne pas dire plus, ne rendent guère compte du danger que la passivité générale avait laissé croître en Europe depuis 1933.
Puisque Hitler ne gouvernait rien mais que sa victoire chanceuse sur la France le rendait trop puissant, il coule de source qu’il fallait poursuivre le combat, et que Churchill n’a eu aucun mal, ni à en convaincre ses compatriotes, ni à obtenir le soutien du président Roosevelt -même si ce dernier devait réorienter par petites touches ses concitoyens isolationnistes. Quant au pétainisme et à la démission de la France, ils s’expliquent entièrement par des facteurs « franco-français », du pacifisme à la revanche des accusateurs de Dreyfus en passant par l’hystérie de la comtesse de Portes. Heureusement, il n’y avait qu’à aller à Londres pour y être accueilli à bras ouverts, les micros l’étant aussi, sans le moindre contrôle. Comment ? Non seulement des appels de De Gaulle ont été réécrits ou censurés mais lui-même a dû en censurer un, diffusé pourtant, celui du 23 juin, qui va être publié pour la première fois ? Vous rêvez, ce n’est pas possible !
Débattons sérieusement, et cet anniversaire peut encore être productif.
Montigny, le 12 avril 2010
PS : les éditions Grasset remettront en librairie le 9 juin L’Appel du 18 juin 1940.
et les éditions de l’Archipel font savoir que Nuremberg face à l’Histoire (2006) est à nouveau disponible grâce à la nouvelle technologie du "Print on demand".
(1) On trouvera un développement sur ce point dans mon article « A quand la remise en cause de la Frieser-Legende ? », Histomag, mai 2010 .
Frieser sur ce site
et aussi
Le chapitre de la Ruse nazie (1997) sur Frieser
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