Bientôt un livre sur la mort de Mandel
rebondissement dans l’affaire Himmler
LE BIHAN VERSUS SARKOZY
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L’histoire ne repasse pas les plats et la dictature chinoise actuelle a peu à voir avec le nazisme, dans ses méthodes comme dans ses buts. Pourtant, on aurait tort de faire la fine bouche devant la mauvaise conscience qui pousse l’opinion, au moins dans certains pays, à ne pas vouloir manquer en 2008 l’occasion d’un boycott de protestation, si funestement gâchée en 1936.
A l’époque, Hitler avait échappé au boycott -sérieusement envisagé en 1933 par le président français du CIO, Henri de Baillet-Latour- en faisant semblant de ne pas compter sur les Jeux pour la publicité de son régime, et d’assumer de mauvaise grâce cet héritage de la République de Weimar. Il avait notamment joué ce numéro devant Leni Riefenstahl, pour la pousser à accepter de filmer les Jeux en lui jurant ses grands dieux que pour sa part il les vivrait comme une corvée... ainsi qu’elle le raconte, au premier degré, dans ses mémoires, cinquante ans plus tard ! Détails ici.
L’antique flamme d’Olympie, accueillie demain à Paris par un Sarkozy qui fait dire à Rama Yade et démentir par Bernard Kouchner qu’il pose des conditions en matière de droits de l’homme pour honorer de sa présence la cérémonie d’ouverture pékinoise, n’avait point encore été ressuscitée par Pierre de Coubertin lorsqu’il organisa la première compétition moderne à Athènes en 1896. L’idée vint au comité hollandais, lors des Jeux d’Amsterdam, en 1928. Mais alors la flamme fut allumée dans le stade, et ne bougea pas. Il en alla de même en 1932. Son transport par course de relais depuis Olympie fut donc une invention nazie et, très probablement, hitlérienne.
Il est aujourd’hui difficile de cerner la part personnelle du Führer dans cette décision, le travail sur archives publié récemment par Daphné Bolz montrant seulement l’imbrication étroite, dans la préparation des Jeux, du comité olympique allemand, animé par Carl Diem (non inscrit au parti nazi mais néannmoins très raciste), et du ministère de la Propagande, dirigé par Goebbels. Si on ajoute que Diem fit le siège de Leni Riefenstahl pour obtenir sa participation et que celle-ci, ne "sentant" pas le film, commença à le sentir dès qu’il fut question de Grèce et de flamme, si on se souvient de la place, dans l’idéologie nazie comme dans les goûts festifs du Führer, et de la Grèce antique, et du feu, on voit que la course de ce flambeau n’a guère d’autre inventeur possible.
Le sens de ce transport de feu, immortalisé par le prologue du film, va bien au-delà d’une glorification du Reich pour sa bonne organisation d’un événement sportif et même d’une mise en scène factice de son désir d’entente avec les autres nations. Il faut y voir surtout une illustration de la prétention du nazisme à reprendre le flambeau de la Grèce païenne et esclavagiste, ainsi qu’une préfiguration inversée de sa croisade de 1941 vers le monde slave et la mer Noire.
Paris accueille en ce 7 avril 2008 un objet de propagande légué par Hitler et Goebbels. Il a certes pris un autre sens dès les Jeux de Londres en 1948, organisés par une Angleterre qui n’était plus en pointe dans l’effort pour dénazifier le monde et n’a sans doute même pas réfléchi à ce qu’elle faisait, pas plus que les bureaucrates du CIO, guère plus réactifs que leurs devanciers d’avant guerre : ils mirent par exemple vingt ans à exclure l’Afrique du Sud, et ne le firent qu’en 1968... lors des Jeux de Mexico, marqués par un massacre de manifestants étudiants, quelques jours avant l’ouverture.
Si les symboles peuvent changer de sens et si on peut promener cette flamme sur la place de la Concorde sans penser ni au nazisme, ni à la guillotine de la Révolution, ni à la captivité de Mandela ou aux étudiants de la place des Trois-Cultures, l’histoire ne doit pas pour autant être niée. Pour l’instant, on rappelle tellement peu les origines de cette coutume que cela confine au refoulement, annonciateur de redites.
Source : Daphné Bolz, Les arènes totalitaires / Hitler, Mussolini et les jeux du stade, Paris, CNRS éditions, 2008.
Montigny, le 6 avril 2008