Axe & Alliés N°4
Interview - François Delpla
Nuremberg face à l’Histoire
Axe & Alliés
On s’imagine souvent que l’idée de juger les criminels nazis a vu le jour tard durant la guerre, au fur et à mesure que les Alliés découvraient les exactions commises par les Allemands. Or, c’est au début du conflit que germe le concept de tribunal international. Comment est née cette idée « révolutionnaire » ? Qui en a été l’instigateur ?
Les brutalités des soldats et des SS en Pologne engendrent une déclaration conjointe anglo-franco-polonaise annonçant le jugement des coupables, le 17 avril 1940. Diverses déclarations du même type sont faites dans les années suivantes, la plus célèbre étant celle du 17 décembre 1942 sur l’extermination des Juifs. Cependant, en ce qui concerne les dirigeants du Reich, seule l’URSS tient à un procès (sans doute en raison de l’habitude prise par Staline de donner des apparences légales à ses exactions) : les autres pays, sous l’impulsion principalement de Churchill, penchent longtemps pour des exécutions sommaires, dites « politiques ». Les faits étant notoires, le jugement devrait se borner à une vérification d’identité, suivie d’une exécution rapide ; il est vrai qu’il s’agit là uniquement, dans l’esprit de Churchill, du traitement des dirigeants de premier plan, et qu’il a aussi le souci, contrairement, cette fois, aux Soviétiques, de limiter l’ampleur de la répression.
Pour concilier les points de vue, le ministre américain de la Guerre, Henry Stimson, joue un rôle de premier plan. Il rappelle Roosevelt au respect des droits de la défense, puis obtient de son successeur Truman, fin avril 1945, qu’il exerce sur Churchill une pression décisive. L’Américain Robert Jackson, qui n’est théoriquement que l’un des quatre procureurs, va être l’architecte principal, et du tribunal, et du procès.
A & A
La France a-t-elle dû s’imposer aux « trois grands » pour participer à ce procès ? Cela n’a-t-il pas posé le problème de la conciliation des différents points de vue entre Alliés, sachant que chaque nation était influencée par sa propre histoire nationale ?
Au sujet de la participation française, la bataille principale est livrée (par Churchill cette fois) à Yalta en février 1945. Du moment que la France participe à l’occupation de l’Allemagne, il va de soi qu’elle sera partie prenante au procès. Quant à la conciliation des traditions judiciaires (y compris celle de l’Allemagne, puisqu’il s’agissait, dans la vision de Stimson et de Jackson, de montrer que les accusés avaient violé leur propre légalité), elle résulte de discussions serrées entre Alliés pendant tout l’été 1945. Mais la nécessité aussi fait loi : entre la procédure anglo-saxonne, qui veut que l’instruction se poursuive pendant l’audience, et les usages continentaux, suivant lesquels elle est bouclée avant le procès, on choisit naturellement la première, car on veut aussi aller vite et il y a des tonnes de documents à dépouiller, dont beaucoup ne seront exploitables qu’au cours des assises.
A & A
Comment les procureurs alliés de Nuremberg, ont-ils réussi à faire admettre la part de responsabilité de la Wehrmacht dans le génocide ? Cela n’a-t-il pas posé un problème à l’accusation qui souhaitait utiliser Erich von Manstein comme témoin à charge contre le Haut commandement de la Wehrmacht ?
Sur ce chapitre comme sur les précédents, il y a conflit au sein du pouvoir américain. Un certain nombre d’officiers et principalement le général Donovan, créateur de l’OSS, penchent pour l’indulgence, notamment envers les cadres de la Wehrmacht, et tentent de faire en sorte que ceux-ci puissent témoigner contre les nazis, en échange d’une remise de peine. Jackson a assez de poids et d’autorité pour mettre fin brutalement, quelques jours après l’ouverture du procès, aux fonctions de Donovan, qui était alors son adjoint. La voie est libre pour que les élites militaires soient gravement mises en cause, même si elles ne sont représentées dans le box que par Keitel et Jodl, ainsi que par les deux amiraux et bien sûr, pour la Luftwaffe, par Göring. Manstein passe un mauvais moment lorsqu’il témoigne en juillet 1946, en prélude à sa lourde condamnation (18 ans de prison) lors d’un procès ultérieur.
A & A
Vous soutenez dans votre ouvrage dans une annexe importante, qu’il existe un « mystère » sur la mort d’Himmler. Qu’en est-il vraiment ? Himmler s’est-il vraiment suicidé comme l’on affirmé les Britanniques ?
Les auteurs nazis ou sympathisants ont dit depuis longtemps que sa mort était suspecte. En 2005 un livre de Martin Allen a prétendu démontrer son assassinat par un commando britannique, un communiqué tardif et laconique a dit qu’il s’appuyait sur des faux glissés dans les archives britanniques et depuis deux ans le black-out est total, sans même un dépôt de plainte ! J’ai fait toute la lumière possible dans le livre et sur mon site.
A & A
Vous présentez Hitler comme le grand absent de ce procès hors du commun. Pourquoi pensez-vous qu’un jugement par contumace était possible sinon nécessaire ?
Les Soviétiques avaient découvert son cadavre à demi brûlé mais craignaient une supercherie et avaient accusé l’Occident de l’avoir recueilli. La question n’était nullement close lors de l’ouverture du procès. Les gens de bien du monde entier avaient là une occasion de tirer parti pour le meilleur de la paranoia stalinienne ! La présence du nom de Hitler sur la liste des accusés aurait peut-être incité le tribunal à éclairer la genèse des décisions criminelles, avant de se pencher sur le rôle précis de chaque exécutant.
(propos recueillis par Boris Laurent)
(l’avant-dernière question et sa réponse n’ont pas été publiées faute de place, c’est donc une exclusivité !)
Le livre sur ce site
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