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Les découvertes, en histoire, peuvent rester longtemps sous le boisseau quand elles dérangent des puissances bien établies. Leurs auteurs sont alors tentés de dénoncer l’existence d’une histoire " officielle ". Telle n’est pas ma position.
Il en va de ce concept comme de quelques autres, tels le " politiquement correct " ou la " langue de bois ". C’est toujours la politique des autres qu’on accuse ainsi, ou la langue du voisin. On est dans le registre de l’insulte, on n’argumente pas et le débat s’enlise.
L’histoire est rarement édictée par un gouvernement, du moins dans les pays dits démocratiques. A cet égard, la mise en cause de MM. Bush et Blair au sujet de leur attaque contre l’Irak, en dépit de sa réussite militaire (d’ailleurs compromise ces jours-ci par les difficultés administratives), confirme les hypothèses les plus optimistes de mon avant-dernier éditorial : de larges secteurs de l’opinion anglaise et américaine exigent qu’on trouve dans ce pays des armes de destruction massive, ou qu’on avoue avoir menti à cet égard en truquant des preuves, et l’usage frauduleux de la thèse d’un étudiant californien continue d’être rappelé. Mais même dans les pays où sévit un parti unique, un grand nombre de faits sont présentés très différemment selon les auteurs car aucun pouvoir n’a jamais réglementé complètement la pensée.
En ce qui concerne la France, on y trouve des groupements politiques ou intellectuels plus ou moins structurés et plus ou moins liés à des institutions d’Etat, en particulier universitaires. Il peut en résulter, en histoire comme en toute matière, de terribles conformismes ou de puissantes inerties. Il faut les combattre, dans l’intérêt de chacun, sans mettre en cause les personnes : il est beaucoup plus fécond de s’en prendre aux idées, et la discipline historique nous offre cet avantage de pouvoir rendre des affirmations instantanément caduques, par la production de faits qui les contredisent ou obligent à les nuancer.
Si le concept d’histoire officielle n’a aucune utilité, il présente en revanche de grands dangers. Il amène à substituer au combat d’idées la lutte contre une hydre mythique. On a tôt fait de prêter aux censeurs présumés des méthodes conspiratrices... et d’en adopter soi-même, pour la bonne cause. Chacun connaît l’exemple de Robert Faurisson, qui met en doute la volonté génocidaire des nazis tout en se défendant d’être antisémite. Pour ma part, en traitant des calomnies de Vergès et de Chauvy contre le couple Aubrac, j’ai été amené à connaître quelques uns de ces " chercheurs indépendants " qui n’en veulent nullement à ces deux résistants et ne croient pas une seconde qu’ils aient trahi : ces braves gens réclament uniquement qu’on les laisse fouiller en paix des " zones d’ombre "... qu’ils ne se pressent pas d’éclairer. Car la lumière, précisément, leur fait peur. La dénonciation de l’histoire officielle est devenue leur fonds de commerce.
La dignité de l’historien consiste à tout examiner, en matière de documents et d’hypothèses, que l’information émane d’un maître reconnu ou d’un pamphlet extrémiste. Il publie ensuite le résultat de son travail sans égard pour la susceptibilité de qui que ce soit.
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